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La matinée, reportage d'Océane

 Freins et leviers sur la question de l’âge en danse. 

« Danse et âge », ces deux termes étaient au coeur de la journée organisée par le CN D de Lyon dans ses locaux le 19 septembre. La journée, divisé en deux temps, a débuté avec l’accueil des participants dans le studio 17 par Céline Parraud et Pauline Patoux. L’après-midi était consacrée à la table ronde animée par Isabelle Calabre1 alors que la matinée a permis la rencontre sur le mode du World Café autour de trois questionnements liés à la thématique. Sur trois tables, pensées comme des îlots de réflexion, une question était imprimée sur laquelle les groupes débattaient pendant une vingtaine de minutes. Assis sur des bancs de part et d’autre des tables, les participant.es disposaient d’un grand tableau à feuille pour constituer des fresques de pensées. Les trois groupes constitués d’environ 6 participants se déplaçaient entre les îlots, afin de réfléchir à chaque fois à une nouvelle question. Un référent de table faisait les comptes rendus des échanges précédents et animait les conversations. Parmi les questions évoquées au cours de cette matinée, celle des freins faisant obstacle à la poursuite de la danse par des danseurs plus âgés était abordée autour des divers échanges.

« Ne pas avoir le choix, c’est cela qui rend l’arrêt de carrière si difficile », remarquaient les participants. A l’impression d’être déclassé, parce qu’on signe moins de contrats, et au découragement qu’entraine le fait de ne pas danser autant que souhaité, s’ajoutent des questions économiques : c’est un métier qui doit permettre de vivre, et sans contrat, ce n’est pas possible.

Certains évoquent également la difficulté de maintenir un réseau actif : « A 40 ans, on n’a plus l’énergie de faire du réseautage, car on a une famille à côté et on ne peut pas être au théâtre à voir des spectacles tous les soirs ». Or, le réseau est le principal pourvoyeur d’emploi pour les danseurs qui cherchent du travail. 

Naturellement, c’est la question du corps vieillissant qui a ensuite été abordée dans les débats. « On a souvent tendance à penser que la danse, c’est la performance et la virtuosité du corps. Quand on vieillit, on devient moins performant physiquement, mais on a d’autres qualités de mouvements qui viennent liées à l’expérience et à la maturité », résume joliment un des participants en réponse à la question « Pourquoi les danseurs âgés sont-ils moins attractifs pour les compagnies ? ». 

Il existe en effet des changements physiologiques liés à l’âge, mais au lieu de les voir comme un frein, il faudrait les considérer comme une étape. Ces limites vont permettre d’apprendre à travailler le corps différemment, à avoir une meilleure connaissance de ses limites, une meilleure préparation physique et surtout, plus de consistance et de conscience du mouvement. « Lorsque je vois des danseurs plus âgés, je suis toujours impressionnée par la qualité de leurs mouvements », confirme une autre participante.

La responsabilité et la prise en charge de la préparation physique ont été des points clés des échanges : « C’est vrai qu’il faut rester en forme et garder une bonne condition physique ! ». Chantal Caron, chorégraphe québécoise, a confirmé l’importance de la préparation physique par son expérience: « A 62 ans, je n’ai jamais été aussi en forme ». Ce à quoi Denis Plassard, chorégraphe lyonnais, a répondu : « J’ai beaucoup moins de douleur maintenant à 50 ans passés que quand j’avais 20 ans ». Autrement dit, la préparation physique fonctionne, et en vieillissant on apprend à mieux comprendre les besoins de son corps et à y répondre. 

Les échanges ont ensuite porté sur la façon de se préparer physiquement : « Personnellement c’est le yoga qui me permet de rester en forme ! » avoue une participante, tandis que d’autres parlent de Pilates, de course à pied ou d’arts martiaux. Ainsi, les danseurs ne se cantonnent plus à des techniques de danse mais élargissent leurs horizons à d’autres pratiques pour faire travailler leur corps différemment. Les institutions commencent elles aussi à s’intéresser de plus en plus à la santé du danseur, comme en témoigne le Guide danse et santé2 disponible à l’accueil du CN D de Lyon, qui propose aux danseurs des rendez-vous kinésithérapeutiques à prix réduit au CN D de Pantin. En effet, cette prise en charge reste encore trop souvent à la charge des danseurs, qui ne reçoivent pas toujours le soutien nécessaire à la gestion des blessures ou à la préparation physique à moins d’être permanents dans une compagnie. 

Toutefois, l’idée qu’un danseur doit être jeune est encore ancrée dans les fonctionnements institutionnels français. Par exemple la limite d’âge pour intégrer les CNSMD est fixée à l’âge de 20 ans en contemporain et de 18 ans pour le classique : il faut débuter sa carrière le plus tôt possible, donc avoir des interprètes jeunes et formés pour que leurs carrières soient les plus longues possibles. « Des fois les jeunes danseurs arrêtent leur carrière avant même de l’avoir commencé parce qu’ils commencent très, voir trop jeunes », explique alors un danseur cinquantenaire. Pour autant, certaines écoles comme le CNDC choisissent de ne plus mentionner de limites d’âge sur leurs avis d’audition pour permettre à des danseur·euses passionné.e.s de se former plus tardivement. 

Ainsi, Pauline, danseuse trentenaire, partageait les questionnements qui l’ont animée quand elle a décidé de se reconvertir après une carrière d’ingénieure : « Que faire de ma vie en commençant la danse à 34 ans ? ». 

Les danseur·euses ‘’tardifs’’ permettent de penser la danse différemment, en montrant une autre forme d’apprentissage, de performance et de physicalité. Pour comparer la danse à d’autres arts, Anne Martin confiait lors de la table ronde de l’après-midi « Chez les musiciens, les interprètes sont de plus en plus reconnus et valorisés en vieillissant, ils atteignent une sorte d’aura »… ce qui laisse à méditer quant à la place sur scène de nos ‘’ancien·ne·s’’ danseur·euses.

Une autre évidence est apparue au fil des discussions : « Moi je ne veux pas voir des corps âgés juste pour voir des corps âgés. Je veux qu’ils soient vus en tant qu’artiste, pas pour remplir des quotas de programmation. » affirme l’un des participants. « Les projets où l’on voit des danseurs âgés sont souvent des projets où on parle de l’âge », confirme une participante d’un air désolée. Ce qui ressort de ces échanges, c’est la volonté de voir des danseurs de plus de 40 ans sur scène pour leurs qualités de danseurs, sans que leur âge avancé ne soit un facteur de mise en scène ou de propos. L’ensemble de la tablée était toutefois assez positive quant au fait que la présence de danseurs mûrs sur scène s’était développée ces dernières années. 

« Il faut aussi que les chorégraphes aient envie d’engager des ‘’vieux’’ danseurs », disent certains participants. En effet, les chorégraphes choisissent les interprètes avec qui ils veulent travailler pour correspondre à leur recherche artistique. Même si le poids de l’emploi des danseurs de plus de 40 ans ne doit pas reposer uniquement sur les épaules des chorégraphes, certains comme Daniel Larrieu trouvent des processus innovants pour faire participer les anciens danseurs de sa compagnie. Deux anciens élèves du CNSMDL ont partagé leur expérience de la retransmission de la pièce Romance en Stuc: « Il cherchait à adapter la transmission de la pièce à nous et à notre époque, en trouvant des nouveaux moyens de transmission de l’écriture. Ce qui était le plus important c’était le partage du processus et d’une même énergie. Les anciens danseurs étaient là pour nous guider dans ce travail de recherche». 

D’autres danseurs décident également de devenir chorégraphes, et de présenter leurs propres projets pour trouver un travail artistique et technique qui leur correspond plus. Plutôt que d’essayer de se conformer à des projets, ils se lancent dans une nouvelle aventure en élargissant leurs horizons à la chorégraphie, et en créant une danse qui leur ressemble, moins contraignante physiquement. 

Ce qui ressort des échanges, c’est le fait de se prendre en charge et d’oser croire en soi et ses possibilités : chacun peut créer son propre chemin. Les parcours atypiques des différents participants ont amené à conclure: « Il ne faut pas se laisser arrêter par ce que vont dire ou penser les gens autour ». Oui, un·e danseur·euse de plus de 40 ans en bonne santé qui a toujours envie de danser a toujours sa place sur scène ! 

Un constat semble néanmoins s’imposer : si les danseur·euses âgé·e·s sont reconnu·e·s pour leur maturité artistique et créative, et donc valorisé.e.s dans la création, iels le sont moins en tant qu’interprètes uniquement. Alors comment faire dès lors que l’on désire être uniquement interprète? Denis Plassard confiait qu’à son époque, il avait été considéré comme ‘’trop jeune’’ pour être chorégraphe lorsqu’à 22 ans il a commencé à chorégraphier. Il était habituel de penser que les interprètes devaient être jeunes et les chorégraphes âgés. Mais peut-être que la solution est dans cette logique : comment repenser le modèle hiérarchisant des relations en danse ? Des ‘’jeunes chorégraphes’’ sont capables de brillantes idées tout comme des ‘’vieille·ux interprètes’’ sont capables de virtuosité. 

En se baladant autour de la table « Et si on dansait multigénérationnel ? », c’est l’exemple de Jan Martens et de sa pièce Any Attempts will end in shattered bones and crushed bodies qui est évoqué. Sa particularité est d’avoir été créée et de tourner avec des interprètes de tous âges. Certains sortent de l’école, tandis que d’autres font partie du Dance On Ensemble. Ce constat est donc encourageant et prouve que les choses changent, même si elles mettent du temps ! 

La question de la reconversion a aussi émergé : certain·e·s danseur·euses décident d’arrêter leurs carrières au bout de quelques années parce qu’iels ont envie de se réorienter, alors que d’autres ne quitteront jamais le parquet de danse. Pour Chantal Caron, c’est même l’inverse : « J’étais enseignante dans une école de danse avant d’être chorégraphe, et à 40 ans, on m’a proposé de faire un premier projet chorégraphique. Et à partir de là, je n’ai plus arrêté ! ». 

De plus, ces danseur·euses ont acquis avec les années une expérience de vie qui transparait dans leur danse que des plus jeunes interprètes ne peuvent pas avoir et réciproquement. L’une des phrases clé de cette journée est : « La diversité est une force ». La multi-générationalité est une grande source d’inspiration car jeunes comme vieille·ux ont beaucoup à offrir et partager, alors, « dansons multigénérationnel » ! 

Océane Mégevand, septembre 2023

1 Enrichie de la participation de Madeline Ritter, Anne Martin, Juliette Rennes, Tiago Guedes, Cécile Proust et un entretien vidéo de Jiri Kylian.

2 Ouvrages du CND 

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